lettre inachevée à mon père .
Lettre à mon père, chagrin partagé avec ceux qui comme moi pensent encore parfois « je vais demander à papa. »
Jamais tu n’avais failli à ta parole ! Tu nous avais dit que nous célébrerions la fête des pères le jour de la fête du village. Nous étions tous là et toi ou étais tu ? nous ne te voyions plus mais ta présence, cette indescriptible présence nous étreignait.
Patriarche, tu te serais assis au bout de la table, maman à ta droite, ne posant sur sa chaise que la pointe des fesses.Toujours prête à bondir pour servir, pour te servir. Aujourd’hui c’est la courbe de son dos qu'elle appuie au dossier de ta chaise.
- Maman pourquoi tu ne t’assieds pas au fond de ta chaise ?
- C’est l’habitude, j’ai tellement travaillé dans ma vie, je n’avais pas le temps de m’asseoir !
Chacun a respecté l’ordre imposé, sans jamais en avoir été parlé, à la droite du père, un gendre celui qui est enseignant mais qui sais jardiner, celui qui touche la terre avec ses mains comme toi .A la droite de la mère l’autre gendre. Il est accueilli, bien sur, mais il ne connait rien à la vie.à leur vie . C’est un intellectuel, un banquier qui de ses mains ne fait que tenir le stylo.
Faire avec ses mains , faire de ses mains c'était ton crédo . La vie, dans une violence inouïe , t'a arraché une main pour te laisser le gout amer d'une œuvre inachevée .
Tu aurais tellement aimé poursuivre tes études ! Tu as commencé, au collège,l’instituteur de ton village ,Monteils, a convaincu tes parents et a assuré toutes les démarches.
Tu as passé le concours des bourses à Rodez .Pour obtenir ce cézame tu es venu à la préfecture du département en autobus, avec un camarade de classe et son père. Le copain a été éliminé dès le premier jour et tu es resté seul . Tu as dormi seul, comme un grand, à l’hôtel du clocher. L’hôtelier a pris soins de toi, sur ses conseils tu es allé au jardin public . Après les épreuves tu as repris le bus. Tu n’habitais près du terminus et c'est à pieds que tu as parcouru les kilomètres pour rentrer chez toi.
Tu les as obtenu ces bourses et fièrement tu nous disais:" depuis l’âge de dix ans je n’ai rien couté à mes parents."
Gaston ton père a eu sa vie brisée par les guerres, il était maçon et coiffeur barbier la dimanche Les habitués avaient leur serviette qu’ Alphonsine , ta mère, rangeait dans un meuble à casiers.Je l’ai caressé le bois de ce meuble qui dans ton atelier de menuisier était devenu armoire à clous et à vis.
Autour de cette table, à côté des gendres s'installaient tes filles, près de leurs enfants.
Elles savent combien que tu aurais aimé avoir des fils, eux seuls auraient été capables d’apprendre à travailler le bois . Pour toi les choses étaient claires, il y avait des métiers masculins et des métiers féminins. Alors à qui transmettre ?
Demain il y aura trois ans que tu es parti. Mourir le lendemain de la fête des pères ! Avais-tu peur que l’on t’oublie ?
Mourir la veille de la fête de la musique ! pour que ta voix résonne et que ce que tu nous a appris s’inscrive sur la partition de notre mémoire ?
Demain je pleurerai sur les non-dits, les secrets enfouis, sur ton absence . Un jour j’écrirai plus sur ta vie,papa .